Les spectroscopies : des outils clés de la caractérisation des sites actifs des catalyseurs

Thème 3 - Catalyse : du nanomatériau à la réactivité du site actif

Animatrice : G. Costentin

Les objectifs de développement durable sont présents dans les différents axes développés dans la thématique « Catalyse ». En effet, nos projets sont en lien direct avec la mise en œuvre d’une chimie éco-responsable que nous avons choisie de développer autour des problématiques de l’environnement (par exemple, avec la valorisation du CO2 ou de la biomasse) et de l’énergie (vers une production d’hydrogène décarbonée), deux des enjeux scientifiques majeurs à l’échéance 2030.

Thème 3 - Catalyse : du nanomatériau à la réactivité du site actif

Pour relever ces défis, la démarche adoptée au LRS est résolument orientée vers la compréhension et le contrôle des propriétés des matériaux catalytiques. En effet, la conception de matériaux catalytiques hautement sélectifs est, quelle que soit l’application visée, une condition essentielle, pour réduire l'empreinte carbone et la consommation énergétique des processus industriels. Les catalyseurs à même d’y parvenir sont souvent complexes car faisant intervenir une coopération entre plusieurs sites de surface ou une action successive de plusieurs sites (catalyse tandem). Aussi, l’identification du (des) site(s) actif(s), permet, in fine, de donner les clés pour moduler finement l’environnement de ce(s) site(s) et, ainsi, aboutir à un contrôle fin des réactions catalytiques en termes de sélectivité et de rendement. Un autre enjeu majeur d’actualité vise à réduire la consommation de métaux critiques ou stratégiques (ce qui ne se limite pas aux métaux nobles, mais concerne également des métaux de base tels que Nickel et Cobalt). Un design précis du site catalytique est la clé pour atteindre ce double objectif, à savoir augmenter la sélectivité des catalyseurs tout en réduisant la consommation de métaux critiques. Ceci nécessite un contrôle précis de la synthèse et repose donc sur la mise en œuvre de techniques avancées pour la synthèse de catalyseur (génération de la phase active par échange cationique, exsolution, électrodépôt ; synthèse de catalyseurs nanocomposites…) ainsi que sur des caractérisations adaptées pour le suivi de ces synthèses et également de l’évolution des catalyseurs sous conditions d’activation et de réaction. Notre méthodologie génère donc un lien fort avec la thématique 2. Une telle approche, très éloignée d’une démarche de screening des matériaux, positionne le LRS comme un laboratoire de référence sur la préparation de catalyseurs et l’étude la réactivité de surface, tant sur le plan national qu’international.

La production d’hydrogène décarboné et son transport sont deux enjeux actuels majeurs d’une économie bas carbone. En ce qui concerne le premier aspect (production d’hydrogène décarboné), les travaux envisagés au LRS dans les années à venir concerneront le développement de catalyseurs pour sa production par dissociation électrocatalytique de l’eau (catalyseurs pour les réactions d’évolution de O2 et H2). Nous avons en particulier pour objectif (thèse, financement EP Alger, 2022-2025) de mettre au point des électrocatalyseurs d’OER plus performants (plus stables et nécessitant une surtension plus faible) en utilisant comme précurseurs de phase active des MOF lamellaires Fe, Ni et Co préparés par électrodépôt. Il s’agira en particulier de mieux comprendre la formation de ces MOFs lamellaires, leur nature chimique et leur évolution vers la phase active dans les conditions de la réaction, en particulier en utilisant la microbalance électrochimique à cristal de quartz (EQCM). D’autres voies de synthèses seront également mises en œuvre pour la préparation de catalyseurs en vue de ces applications. En particulier, nous utiliserons l’exsolution pour faire croître des nanoparticules de métaux de transition ou d’alliages à la surface de spinelles (Co, Fe), l’adsorption électrostatique de clusters subnanométriques (Rh) sur du cérium tungstaté, et les dépôts électrochimiques dans les liquides ioniques pour former des alliages binaires (Ni, Co) et ternaires (Ni, Co, Fe) sur des supports poreux. L’obtention de catalyseurs plus performants pour ces deux réactions passera également par une meilleure compréhension de la réactivité, au sens large, des processus électrochimiques de ces réactions à l’interface solide liquide, en particulier en utilisant des outils spectroscopiques combinés aux mesures électrochimiques comme la voltammétrie cyclique et la spectroscopie d’impédance (voir thème 2).

En ce qui concerne le transport du dihydrogène, il est actuellement stocké et transporté sous forme comprimée (à haute pression) ou liquide (à basse température), ce qui entraîne des coûts élevés et des préoccupations en matière de sécurité. Le stockage et le transport de H2 à faible coût et en toute sécurité restent donc des verrous techniques qu’il est important de lever. Dans ce cadre, deux projets démarrent au LRS. Le premier (ANR H2CASTORAMA 2022-202648), vise à utiliser l’ammoniac comme vecteur de stockage de H2. Dans ce cas, l’enjeu est de concevoir des catalyseurs à même d’aboutir à des procédés beaucoup moins énergivores que le procédé Haber Bosch (encore utilisé actuellement pour la synthèse de l’ammoniac pour la production d’engrais). Les catalyseurs qui seront synthétisés lors de ce projet sont des hydroxyapatites modifiées par du ruthénium. Il s’agira plus particulièrement de combiner finement la dispersion des particules de ruthénium et la basicité modulable du support apportée par l’hydroxyapatite, éventuellement modifiée par des hétéroatomes pour favoriser l’étape clé de la réaction, à savoir la dissociation de N2. La deuxième application en lien avec le stockage de l’hydrogène est menée dans le cadre d’un projet financé par l’Institut des Matériaux (SU, 2022- 2025) et réalisé en collaboration avec les laboratoires IPCM et MONARIS. Il s’agit là de développer des catalyseurs innovants pour le stockage par voie chimique de l’hydrogène dans des dinitriles. La paire dinitrile/diamine est en effet à la base d’un LOHC (Liquid Organic Hydrogen Carrier) prometteur mais encore inexploré. Pour permettre un contrôle fin du site actif, l’approche choisie consiste à synthétiser des nanoparticules très homogènes en taille et en forme de la phase active (Co, Ni et alliages CoNiFe) par voie colloïdale à partir de précurseurs organométalliques, puis de les ancrer solidement sur un support inerte (silice fonctionnalisée par des groupements carboxyliques). A terme, il s’agira également de tirer profit des propriétés magnétiques de ces nanoparticules pour remplacer le chauffage traditionnel par un chauffage magnétique de manière à améliorer le bilan thermique du procédé.

Cet axe concerne le développement de catalyseurs performants aussi bien pour la production de molécules plateformes issues de la biomasse que pour la synthèse de molécules à forte valeur ajoutée. Les applications visées couvrent un domaine large de réactions, aussi bien en phase gaz qu’en phase liquide, telles que l’hydrogénation ou l’hydrogénolyse sélective, la cycloaddition de CO2, ou des combinaisons de réactions (catalyse tandem). Les produits visés sont, par exemple, des carbonates cycliques, des phénols, aldéhydes phénoliques, le 5-HMF, le 2-méthyl-3-butene-2-ol, le butanol et le butadiène.

En ce qui concerne l’hydrogénation sélective, plusieurs projets viennent d’être initiés. L’ANR HYDROCARB, 2022- 2026)49 a pour but de mettre au point des formulations innovantes Mo2C/WOxCy supportées sur différents supports (TiO2, ZrO2, charbon) pour l’hydrogénation sélective de la liaison C=O d’aldéhydes a,ß-insaturés (prénal en phase gaz, cinnamaldéhyde, en phase liquide et érythritol en phase aqueuse). L’objectif est que ces catalyseurs qui combinent une fonction hydrogénante et une fonction oxophile, atteignent, pour ces réactions, des sélectivités similaires à la phase active la plus performante identifiée jusqu’à présent, i.e. Ru°/ReOx. De même, il convient de développer des alternatives aux métaux nobles pour hydrogéner sélectivement d’autres molécules comme le butadiène ou l'acétylène présents comme impuretés dans des flux industriels et qui empoisonnent les catalyseurs de polymérisation, ou encore le 2-méthyl-3-butyne-2-ol qui est une voie d’accès aux vitamines A et E. L’enjeu commun est d’éviter les réactions secondaires de sur-hydrogénation et d’oligomérisation qui participent à la désactivation des catalyseurs. Les différentes approches qui seront explorées consistent à maximiser la quantité de sites actifs via le contrôle de la dispersion de nanoparticules métalliques, voire la stabilisation des sites isolés. A ces fins, l’exsolution en conditions réductrices du Nickel à partir de solutions solides Ni- ZrO2 ou hydroxyapatite substituée au nickel (ANR SACOCHE50), ou encore l’échange cationique de Cu ou de Co sur des hydroxyapatites seront étudiés. L’existence d’interactions fortes entre le métal et ce type de support, susceptibles d’influencer la structure électronique locale du site actif et le mode d'adsorption des réactifs, pourrait également être bénéfique à la sélectivité des catalyseurs.

Une autre série de projets sera centrée sur la catalyse acide-base appliquée à la valorisation de la biomasse. Ainsi, l’ANR FluHOMat (2022-2026, porteur IC2MP)51 est focalisée sur le développement de nanomatériaux originaux à base de fluorures d'hydroxyde ou oxydes d’alcalino-terreux (Mg, Ba, Ca) dont les propriétés acidobasiques (évaluées par des réactions modèles) seront ajustées pour catalyser l’isomérisation du glucose en fructose et la réaction de trans-esterification de la g-valérolactone. Un deuxième projet (thèse, financement EP Alger, 2022-2025) vise à développer des catalyseurs pour la conversion du glucose en 5-HMF (catalyse tandem) en supportant des nanoparticules d’oxyde (TiO2, ZrO2, et V2O5) apportant des sites acide ou basique de Brönsted et de Lewis sur des charbons actifs mésoporeux acides. Il s’agira là de mettre en évidence l’influence des propriétés acido-basiques de l’oxyde et du charbon actif sur l’activité et la sélectivité du catalyseur. Un autre projet sera centré autour du réseau de réactions de conversion de l’éthanol qui conduit à différents produits à haute valeur ajoutée comme le butanol, l’alcool méthylbenzénique ou le butadiène sans que les paramètres qui orientent vers l’un ou l’autre de ces produits ne soient encore suffisamment rationnalisés en termes de balance acido-basique, et du bénéfice potentiel joué par des métaux à caractère (dés)hydrogénant. Notre stratégie consiste à concevoir des séries d’écomatériaux à base d’hydroxyapatites modifiées par des silicates et/ ou des métaux non nobles et présentant des morphologies et terminaisons de surface ajustées par la synthèse, ce qui permettra d’étendre la gamme de propriétés acides versus basiques, et d’ajouter des propriétés redox. Des corrélations entre sélectivité dans les produits cibles et la réactivité vis-à- vis de réactions modèles sensibles uniquement à l’acido-basicité ou également au pouvoir redox seront recherchées afin de mieux contrôler le déroulement de ces réactions en cascade.

Enfin, une troisième série de projets concerne la valorisation du CO2. Faisant suite à l’ANR OxCycat_CO2 (conversion directe du styrène en styrène carbonate en présence de O2 et CO2 par catalyse tandem), un autre projet, toujours basé sur des catalyseurs bifonctionnels, va porter sur la carboxylation oxydante des terpènes pour conduire à des molécules de plus haute valeur ajoutée, en partant cette fois-ci de molécules issues de la biomasse. Les catalyseurs visés, dont certains seront chiraux, intégreront sur des silices, des dérivés métalliques de type polyoxométalates (pour la réaction d’époxydation des alcènes) et des cations organiques (par exemple imidazolium) pour l’étape de cycloaddition du CO2. Le LRS est actuellement impliqué dans le projet DOMINO52 (2022-2026, porteur ILV) dont l’objectif est d’utiliser la réaction de cycloaddition de CO2 pour procéder à la résolution cinétique de mélanges racémiques d’époxydes, le tout dans des conditions de température et de pression modérées. Dans ce cas, les catalyseurs qu’il faut mettre au point et caractériser sont des MOF chiraux obtenus à partir d’acides aminés ou de peptides et de clusters de Zr. Un dernier projet déjà démarré (financement CSC 2022-2026) concerne le développement de matériaux catalytiques exacerbant la fonction de capture du CO2 pour permettre des réactions de valorisation à partir de sources diluées. Le cœur de ce travail porte sur la synthèse d’oxydes basiques dotés d’importantes surfaces spécifiques que nous envisageons d’associer à différents types de phases actives pour permettre des réactions de cycloaddition de CO2 mais également, après incorporation de nickel finement dispersé, du reformage à sec du méthane (source de H2) ou la méthanation/méthanolation de CO2 (vectorisation de H2) en collaboration notamment avec l’Institut Jean Le Rond d’Alembert. Dans ce cadre, il est prévu de déposer ces oxydes basiques sur des monolithes commerciaux ou obtenus par impression 3D.
 

Dans notre trajectoire de recherche pour cette nouvelle mandature, il nous est également apparu important de mettre l’accent sur le développement de techniques d’activation de catalyseurs moins classiques et qui ont un fort potentiel en termes de réduction des coûts énergétiques des procédés (notamment l’utilisation du chauffage par induction magnétique, des ultra-sons, du plasma, etc53) ou d’intensification et de sécurisation des procédés (catalyse en phase liquide sous flux). Ces approches supposent un design adéquat des catalyseurs en prévision du mode d’activation ou de mise en œuvre qui s’illustre déjà dans quelques projets venant de démarrer et que nous souhaitons conforter dans les années à venir.

Pour ce qui concerne la mesure d’activités catalytiques en phase liquide sous flux, l’un des aspects que nous souhaitons développer est la mise au point d’un réacteur automatisé. Ceci sera réalisé sur le modèle de l’instrument de mesures d’isothermes d’adsorption sous flux et en phase liquide (voir thématique 2). Ce montage permettra d’utiliser des réacteurs de types packed ou monolithe. La catalyse sous flux est également au cœur du projet ANR ECaSep (2022-2025)54, qui a pour objectif de développer des réacteurs constitués d’un monolithe de polymères macroporeux à la surface desquels sera déposée une couche mince de MOF chiraux dans laquelle des nanoparticules de Pd seront dispersées. Ces réacteurs seront utilisés pour des réactions de couplage transversal asymétrique, impliquant, par exemple, des dérivés d’acides boroniques et des halogénures d’allyle possédant un centre chiral, à l’origine d’intermédiaires de synthèse importants dans la production de médicaments et de produits agrochimiques.

Dans le domaine de l’activation non conventionnelle des catalyseurs, nous souhaitons poursuivre nos activités en matière de dépolymérisation oxydante de la lignine sono-assistée initiées avec l’Institut Jean le Rond D’Alembert (Thèse 2019) en vue de produire des aldéhydes phénoliques à forte valeur ajoutée tels que le syringaldéhyde et la vanilline. L’objectif du nouveau projet envisagé est de confronter deux approches, l’une, « classique » utilisant deux catalyseurs (respectivement pour l’oxydation de la chaîne alkyle et le clivage), et l’autre, moins conventionnelle combinant catalyse et activation par ultrasons en vue d’établir les gains en termes de sélectivité en aldéhyde et de consommation énergétique. Nous envisageons également de transposer ce type de système à la dépolymérisation du polystyrène en présence de O2 pour former de l’acide benzoïque, permettant ainsi une valorisation de ce déchet à un moindre coût que la pyrolyse.

Deux autres projets, en cours de demande de financement, auront pour objectif de développer des catalyseurs composites combinant une fonction catalytique et une fonction magnétique pour réaliser de la catalyse assistée par un chauffage magnétique. Nous envisageons ainsi d’utiliser la variabilité des propriétés magnétiques des nanoparticules de ferrites de cobalt et zinc (en fonction du ratio Co/Zn), pour porter deux catalyseurs nanocomposites magnétiques, l’un acide et l’autre basique, chacun associé à des particules de ferrites de compositions différentes, à deux températures différentes dans le même réacteur de manière à développer un procédé tandem et à deux températures de conversion du glucose en 5-HMF. Il est prévu également d’exploiter le chauffage par induction dans la poursuite de projets visant la dépolymérisation réductrice de la lignine ou la pyrolyse du polyethylène en exploitant directement les phases métalliques actives en catalyse (nanoparticules métalliques, Ni, Co..) ou bien en les combinant à des oxydes de fer. Le plasma est également au cœur de deux projets. Le premier (demande de financement en cours) a pour objectif de valoriser les alcools issus de la fermentation de la biomasse en aldéhyde et en dihydrogène, en développant un procédé innovant basé sur la production de décharge plasma pulsée en phase liquide couplée avec des catalyseurs (n’utilisant pas de métaux nobles). Le deuxième sera dédié à la mise au point d’un procédé catalytique permettant l’époxydation d’alcènes directement à partir de CO2 lequel est dissocié en CO+O* au sein du plasma. Les catalyseurs hétérogènes qui seront synthétisés pour ce projet combineront, sur une silice mésoporeuse, une fonction d’adsorption du CO2 (fonction amine) et des particules colloïdales d’argent qui assureront la synergie avec le plasma.